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Nguyen-Tran Thi-Tri & sa petite-fille Hugnh Tri-Nhon Gaya

Madame Nguyen-Tran, née à Hué (Vietnam) en 1931, n’a pas eu une vie facile: orpheline à cinq ans, vivant dans un pays déchiré par les guerres, elle a toujours fait preuve de résilience. «Si je deviens riche un jour, je fonderai un orphelinat !». Un engagement qu’elle a tenu puisqu’avec son Association elle soutient un orphelinat au Vietnam.

 
Sa petite-fille Gaya est née en 1990. Hygiéniste dentaire, elle accorde aussi beaucoup de temps à son grand-père atteint dans sa santé.
 
C’est par l’intermédiaire de lettres que grand-mère et petite-fille ont choisi de parler de leurs liens.

Ma chère Gaya,

J'aimerais te raconter le long fleuve de ma vie, afin que tu connaisses mon origine et mon vécu durant toutes ces années. A mon âge, le principe de l’impermanence selon lequel tout change sans cesse, m’amène à le faire maintenant, tant que c’est possible.

Mon arrière-grand-père paternel était ministre des armées sous le règne du roi Thanh Thai (1879-1954). Mon grand-père paternel a travaillé comme dignitaire à Nha Trang et mon père comme entrepreneur. Il a quitté ce monde quand j’avais cinq ans.

Quant à mon grand-père maternel, il a joué un rôle important comme responsable de la noblesse de Hué et il avait un grand talent musical. De plus, trois grands théâtres furent construits par ses soins. Ma grand-mère, dotée elle aussi de talents musicaux, enseigna la musique à la reine et aux femmes de la noblesse d’alors.

Après le décès de mon père, j’ai vécu chez mon grand-père. Il m’a enseigné la musique, la cithare et le luth, et ensuite j’ai enseigné la musique aux femmes de la noblesse. Pour commencer le collège, j’ai dû m’installer chez mon oncle. Le collège étant loin de la maison familiale, je me suis sentie seule et j’ai souvent pleuré.

Mon adolescence fut marquée par de profonds changements politiques. En 1945, les Japonais envahirent le Vietnam et emprisonnèrent les Français. A l’école, nous dûmes apprendre le japonais. Après l’explosion des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki et le retrait des Japonais, les Chinois, poussés par la famine, envahirent à leur tour le Vietnam, ce qui amena par la suite le mouvement communiste patriotique des Viet Minh. Les conditions de vie furent plus dures.

Alors je décidai d’aider les paysans analphabètes en participant à l’école du soir et aux cours qui leur étaient destinés. Nous dûmes aussi nous former à l’utilisation des armes et aux manœuvres militaires. Comme je voulais devenir enseignante en travaux manuels et en gestion familiale, j’ai appris la couture et fabriqué les tenues des soldats. Après une période d’interruption, j’ai pu terminer le collège et me former comme comptable et sergente. Mon travail consistait à distribuer les salaires et à gérer la nourriture de la prison Lav.

Mon vécu m’avait révélé les souffrances du monde et j’eus le désir de les alléger par une pratique religieuse. Mais après quatre années dans l’armée des jeunesses patriotes, j’ai été emprisonnée et torturée par l’état colonialiste. Ils pensaient que je fomentais une action anticolonialiste et terroriste. Un grand nombre d’étudiants furent également emmenés et parmi ceux-ci ton grand-père. C’est ainsi que nous nous sommes connus.

En 1968 c’était à nouveau la guerre. Nous avons hébergé mon neveu et ma nièce, leurs parents étant morts. Puis arrivèrent les évènements de 1972, de nouveaux combats et l’entrée des communistes à Hué, où nous vivions. Il a fallu accueillir de nombreux réfugiés. Fort heureusement, ton grand-père a pu prendre en charge tout ce monde.

En 1975, devant l’avance des communistes et l’insécurité, et après plusieurs tentatives de fuite périlleuses par la mer, la famille a réussi à quitter le pays en me laissant seule pour veiller sur notre maison. Ce fut très dur.

Par chance, ta tante qui étudiait en Suisse a pu leur obtenir l’asile et ils s’installèrent tous les six à Lausanne. Je les rejoignis en 1980, avec pour toute fortune les instruments de musique de ton arrière-grand-mère. Aussitôt j’ai cherché un travail et j’ai classé nombre de documents pendant trois ans au Bureau vaudois des archives. Plus tard, je me suis formée et engagée comme aide infirmière et aide comptable au CHUV. Retraitée en 1994, j’ai suivi pendant cinq ans des stages de méditation vipassana en Birmanie, ce qui m’a apporté stabilité et joie intérieure.

En 1999, l’état communiste a décidé d’exproprier notre maison familiale au Vietnam et j’ai dû retourner au pays pour l’en empêcher.

C’est alors que m’est venue l’idée de créer un centre d’accueil pour les enfants défavorisés, souvent orphelins ou abandonnés. Ce projet a demandé plus de cinq ans de formalités pour les autorisations, les plans et il a englouti toutes mes économies. La construction a eu lieu en 2007. Actuellement, le centre fonctionne bien et abrite vingt enfants âgés de 2 à 18 ans. Nous leur procurons un hébergement décent et confortable, une éducation convenable et altruiste et une scolarité régulière leur donnant accès à une formation professionnelle.

Chère Gaya, ces lignes écrites avec amour sont là pour te montrer quelques éléments de ma vie. Je désirerais surtout te transmettre une ligne de vie que j’ai toujours profondément ressentie et qui est d’avoir la foi dans ce que tu peux faire de bien. Cette conviction doit t’amener à faire du bien et à aider les autres dans les moments difficiles. Pour cela, il faut puiser au plus profond de soi-même la force, le courage et l’énergie nécessaires. Nous avons tous des difficultés dans notre vie et des souffrances. L’entraide est importante, car nous avons besoin les uns des autres.

L’enseignement du Bouddha dit que de semer des graines d’amour et de compassion autour de soi et en soi amène à plus de bien-être pour soi et pour les autres. «Aime ton prochain comme toi-même», a dit le Christ. Avoir foi en la beauté de la nature fondamentale de tous les êtres vivants : telle a toujours été ma devise.

Avec plein d’amour, je t’embrasse.
Ta grand-mère

Ma chère Ba Ngoai [grand-mère du côté maternel],

Le voyage que nous avons fait au Vietnam m’a permis d’ouvrir les yeux. Grâce à ce périple, j’ai compris tout ce que tu as vécu avec grand-papa, tout ce que vous avez perdu, mais aussi tout ce que vous avez gagné. Je me suis rendue sur la terre de mes ancêtres, j’ai pu voir où étaient mes racines, et surtout j’ai beaucoup de chance de grandir avec une double culture.

Je ne me sentais pas vietnamienne en étant au Vietnam, car ma façon de penser et de parler est différente et en Suisse, je ne me sens pas tout à fait suissesse non plus. En grandissant j’ai appris à jongler avec cette double culture pour pouvoir faire ma place. Il n’existe pas de manuel qui explique comment agir dans diverses circonstances. C’est tout un apprentissage pour rester en harmonie avec soi-même et avec la société dans laquelle on vit. Je pense qu’aujourd’hui c’est ma plus grande richesse.

L’exemple le plus parlant, c’est le regard. On dit que les yeux reflètent notre âme. En Europe, regarder quelqu’un dans les yeux, c’est montrer à son interlocuteur du respect et de la sincérité. Au Vietnam, c’est perçu comme un signe d’arrogance ou de passion.

La première fois que la maîtresse m’a réprimandée et qu’elle m’a dit: «Regardemoi dans les yeux quand je te parle ! » cela m’a paru aussi dur que de gravir le Grammont. À l’époque, pour moi regarder les adultes dans les yeux était un manque de respect envers eux. Lorsque j’ai dû poser mon regard dans celui de ma maîtresse, j’ai ressenti de la tristesse, car j’avais l’impression de lui manquer de respect, mais aussi du soulagement d’avoir réussi à le faire. Depuis ce jour, j’ai appris à adapter mon comportement au milieu dans lequel je suis.

Grâce à vous, nous avons préservé la fête du Têt, le nouvel an vietnamien. Une célébration que vous nous organisez chaque année avec beaucoup d’amour. Je trouve que c’est une fête pleine de couleurs avec des offrandes de fruits et de bons petits plats vietnamiens. Elle nous apprend la valeur de la famille, la gratitude envers nos ancêtres et l’importance de se réunir et de profiter du moment présent. Cette tradition, j’aimerais la préserver le plus longtemps possible.

J’ai énormément de chance de grandir dans une famille aimante et pleine de sagesse et je vous en suis très reconnaissante.

Je vous embrasse tendrement,
Gaya

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