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Ayten Bacak & sa petite-fille Esma Bacak

Toute menue et souriante sous son foulard beige, Ayten est venue à notre rendez-vous à la Bibliothèque A tous livres avec l’aînée de ses quatre petites-filles, Esma (13 ans). D’emblée nous avons été charmés par leur amabilité, leur disponibilité et la complicité qui les reliait.

 
Ayten a grandi à Karaman en Turquie. Elle est arrivée en Suisse à 18 ans, après avoir épousé un jeune homme de sa région, Mehmet. Elle a appris aussitôt le français et a passé son permis de conduire. Maman de deux garçons, elle a eu le chagrin de perdre son mari alors qu’elle n’avait que 37 ans, ce qui a marqué le début d’années difficiles. Dès lors, elle a dû surmonter son chagrin tout en conjuguant l’éducation de ses fils avec l’entretien de sa famille. Elle se souvient aujourd’hui encore avec émotion du soutien que lui ont apporté certains de ses voisins auxquels elle reste très liée.
 
Ayten et Esma ont accepté de parler «à bâtons rompus » de leurs liens avec leur terre d’origine.
 
AB = Ayten, grand-maman
EB = Esma, sa petite-fille

Histoire familiale

AB  Je parle volontiers de mon passé avec mes petits-enfants. Surtout avec Esma quand elle me pose des questions comme : « Grand-mère, quand tu avais mon âge, qu’est-ce que tu faisais ? ». Alors oui, je raconte.

EB  Moi, je vois seulement en été les gens de ma famille qui habitent en Turquie. Mais pour savoir comment c’était avant en Turquie, je demande à ma grand-mère.

AB  Ça me fait plaisir qu’Esma pose des questions, il y a des choses que j’ai pas envie d’oublier. Je vis en Suisse depuis plus de 43 ans, alors ça me fait plaisir, je retourne quarante ans en arrière.

EB  Presque toute ma famille a toujours habité au même endroit, du coup je sais où sont mes racines. L’été dernier, nous avons rénové et nettoyé la maison de ma grand-mère. Je suis très contente qu’elle ait été rouverte, cela a renforcé mes liens avec ma famille.

Langue

AB  Avec mes fils je parle un mélange, turc et français. Et avec mes petites-filles je parle souvent en français maintenant. Je serais triste si Esma se détachait de la langue turque, de notre culture ou de nos fêtes, comme le Bayram.

EB  C’est surtout ma grand-mère qui me parlait turc quand j’étais petite, c’est grâce à elle que j’ai commencé à l’apprendre. Après j’ai suivi l’école turque, un jour par semaine de 17h à 19h. A la maison je mélange le turc et le français avec mes parents, comme avec mes amies turques d’ailleurs.

Religion

AB  Je suis pratiquante, mais c’est pas comme on s’imagine les Musulmans en Europe. On est ouvert, on respecte les autres religions. En Turquie on a vécu avec quatre ou cinq religions, les Juifs, les Musulmans, les Orthodoxes et des Chrétiens, surtout à Antalya. Donc nous avons appris à respecter les autres religions.

EB  La foi est très vive chez ma grand-maman. Elle fait chaque jour ses cinq prières quotidiennes et elle porte un foulard depuis son pèlerinage à la Mecque. Mais elle ne nous impose rien, elle est très tolérante. Moi, je suis croyante comme ma grand-mère. Par exemple, je fais le Ramadan, mais pas forcément les prières. Je trouve que la religion, c’est différent pour chacun et je respecte le choix des autres.

AB  C’est quand je suis revenue du Pèlerinage de la Mecque que j’ai décidé de porter un foulard.

EB  Quand j’étais petite, grand-mère portait déjà son foulard et je lui ai demandé pourquoi et elle m’a expliqué la religion et d’autres choses. Mais l’année dernière il y a quelqu’un à Manor qui a dit à ma grand-mère : «On n’est pas musulman dans ce pays, alors arrêtez de porter des foulards ! » Je trouve qu’on n’a pas le droit de dire ça à quelqu’un qui n’est pas de la même religion. Ma grand-mère, si elle veut porter un foulard, qu’elle le porte ! C’est son choix, elle fait comme elle veut. Si elle veut pratiquer sa religion comme ça, qu’elle le fasse!
 

Apprentissages

AB  Moi j’étais couturière. Un jour Esma a dit: «Mais comment tu fais, tu peux me montrer ? ». Mon fils m’a dit : « Tu la laisses pas faire, elle va se faire mal. » Mais je lui ai expliqué et elle a adoré.

EB  Enfant, je voyais ma grand-mère coudre et j’avais envie de coudre et de devenir styliste, alors elle m’a appris à coudre. En la regardant cuisiner, j’ai aussi appris à confectionner des mets turcs, comme le pain plat (ekmek), le boulgour (pilav), des petits simits, du pain avec de la viande ou lahmajun.

Education

AB  J’aimerais qu’Esma conserve les habitudes que nous avions au pays quand quelqu’un nous rendait visite: saluer, donner de l’eau de Cologne pour les mains, proposer des lokums, des délices turcs, des boissons, thé ou café et bien d’autres choses. Bref, être accueillante.

EB  En Turquie, les jeunes semblent plus livrés à eux-mêmes qu’en Suisse. Par exemple, mes cousines passent la journée en ville sans donner de nouvelles à leurs parents. Ici par contre, je ne sors jamais sans prévenir mes parents et les tenir au courant de mes déplacements.

Caractère

EB Quand j’étais petite et que mes parents travaillaient, je restais souvent chez ma grand-mère, alors je pense qu’il y a beaucoup de choses que ma grand-mère m’a apprises. Par exemple, elle est tout le temps très très gentille. Et aujourd’hui, je vois que moi aussi je suis comme ça. Mais maintenant je comprends que plus tu grandis, plus tu dois être stricte avec les choses qui… que tu sais que tu ne pourras pas faire changer, si tu restes comme tu es.

AB  Je sens que je peux faire confiance à mes petites-filles, que je peux tout leur dire.

EB  Ma grand-mère, je lui ai toujours tout dit, parce que comme elle l’a dit, on a beaucoup de ressemblances et moi j’ai plus de complicité avec elle qu’avec n’importe qui d’autre.

Comme on peut le constater, la famille d’Ayten, tout en étant bien intégrée à la vie montheysanne, est restée très attachée à son pays d’origine. A la question posée à Esma et à sa grand-maman: «Vous sentez-vous plutôt turques ou suisses? », la même réponse: « Turques, quand nous sommes en Turquie, suisses quand nous sommes en Suisse». En guise de confirmation, Ayten me montre par la fenêtre les hauteurs qui entourent notre ville et elle sourit: «D’ailleurs d’ici, le paysage est presque le même que là-bas. Ces montagnes que vous voyez, c’est comme le Taurus. Mais de leur sommet, on voit la Méditerranée en Turquie. »

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