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GENERATION-MIGRATION
Gjyle Tolaj & son petit-fils Elson Tolaj
Gjyle raconte:
Nous venons d’un village du Kosovo, Prilep, à une vingtaine de km de la frontière albanaise.
Notre premier contact avec la Suisse date de 1979. Mon mari est d’abord venu seul. Il avait un contrat de travail pour six mois. Puis nous sommes revenus ensemble en 1980 pour neuf mois. Et depuis cette année-là, nous avons fait des allers et retours jusqu’à l’obtention du permis B en 1984. Alors nous nous sommes installés définitivement en Suisse. Dès mon arrivée, j’ai essayé d’apprendre le français, de me débrouiller, de vivre comme les Suisses. J’ai toujours cherché le contact, ce qui m’a permis d’apprendre la langue et d’avoir des amis suisses.
Nos débuts ont été difficiles. Le voyage en train avec les enfants était très long, nous n’avions pas d’argent et je ne parlais pas un mot de français. Mais pour moi, la Suisse c’est le paradis sur terre, parce que j’ai pu organiser ma vie un peu comme je voulais. En montant dans le bus lors de mon départ en Suisse, la première chose que j’ai faite, c’était d’ôter mon foulard. Et pour moi, ça signifiait la liberté. Au Kosovo, c’était le grand-papa qui commandait toute la famille et décidait de tout. Il ne voulait pas que j’aille à l’école, mais que je reste à la maison pour travailler et aider ma mère. Alors je me suis inscrite toute seule à l’école! J’ai osé faire ça, même si cela m’a valu quelques fessées ! Mais j’étais rebelle. J’ai beaucoup aimé l’école et je regretterai toute ma vie de ne pas avoir pu apprendre plus.
Ici j’ai élevé mes enfants tout en travaillant à divers endroits. C’est grâce à la Suisse que je suis arrivée là où je suis. Au Kosovo, ça n’aurait pas été possible, parce que les femmes à l’époque devaient rester à la maison. Mais moi, j’ai toujours eu de la peine à accepter ça. Toute petite déjà, je voulais travailler et gagner ma vie. Même à la maison. Nous avions beaucoup de moutons et avec leur laine, nous tissions des tapis que nous vendions sur les marchés des villes. Dès l’âge de quatorze ans, j’ai participé au tissage. Ah, qu’est-ce que je n’ai pas fait dans ma vie !
Nous sommes de religion musulmane, mais non pratiquants. Mon grand-père qui était très pratiquant a toujours dit: «Que tu fasses ta prière dans une mosquée, une synagogue ou une église, c’est la même chose. » J’ai la chair de poule quand j’y repense et que je vois comme les gens sont extrémistes maintenant. Pour moi, dans chaque religion il y a du bon et du mauvais. Moi par exemple, quand je suis inquiète ou que j’ai un problème, je vais à l’église de Monthey, j’allume une bougie et puis je rentre à la maison. C’est comme si j’allais dans une mosquée. Un prêtre avec qui j’ai discuté un jour m’a dit: « Si seulement il y avait beaucoup de gens comme toi ! » Je lui ai répondu qu’on ne pouvait pas pousser tout le monde à penser la même chose, que chacun avait son propre chemin.
Nous avons quatre enfants et bientôt sept petits-enfants. Je suis fière d’eux, je me sens riche. C’est difficile de dire ce que j’ai transmis à mes petits-enfants parce que les choses n’arrêtent pas d’évoluer. Après la guerre, le Kosovo a beaucoup changé et sa culture est la même que partout ailleurs aujourd’hui.
A la maison, mon mari préfère qu’on parle albanais, mais des mots français me viennent spontanément à l’esprit. Alors je mélange. Mais j’ai tout fait pour que mes enfants ne perdent pas l’albanais, parce qu’une langue, c’est une richesse. Je n’aimerais pas non plus qu’ils oublient d’où ils viennent. On vit en Suisse, on travaille pour la Suisse, mais il ne faut pas oublier ses racines. D’ailleurs ma fille aînée est en train de travailler sur notre arbre généalogique.
Nous retournons chaque été au Kosovo où nous avions une maison. Après la guerre, nous l’avons reconstruite, car tout avait été détruit. Nos petits-enfants l’adorent, en particulier Elson, l’aîné d’entre eux. Là il renoue ses liens avec le Kosovo, avec sa parenté et la langue albanaise et il trouve ses racines.
Au début la vie n’était pas facile en Suisse, mais maintenant j’aime ce pays. « Fais pas de conneries, travaille, et puis tu auras une bonne vie », c’est ce que je dis toujours aux miens.
Elson, 13 ans, raconte:
Je retourne chaque année au Kosovo pendant les vacances scolaires. J’y retrouve mes grands-parents et ma famille, mais c’est trop court pour me faire des amis. J’en ai plus ici, mais il y a peu de Suisses parmi eux.
Ce que j’aime au Kosovo, ce sont les paysages et notre village Prilep, à l’Est du pays. C’est très verdoyant, c’est la campagne et tout le monde se connaît, se dit bonjour, comme si on était une grande famille. C’est quelque chose du Kosovo que je ne retrouve pas ici. Malheureusement beaucoup de bâtiments ont été détruits pendant la guerre et tout n’a pas encore été reconstruit.
La vie est dure au Kosovo. Les gens doivent se débrouiller seuls, alors ils essaient de construire, d’ouvrir leur propre magasin, de faire les choses eux-mêmes. Ici, tout est plus facile.
Je parle l’albanais. Ma grand-mère voulait absolument que ses enfants et petitsenfants ne le perdent pas, mais je ne sais pas très bien l’écrire. Ainsi quand je retourne à Prilep, je peux parler avec les membres de ma famille. A l’école, j’essaie de donner le meilleur de moi-même. Si je n’y arrive pas, je décide de réussir la prochaine fois. C’est un peu l’exemple que ma donné ma grand-mère qui n’a jamais baissé les bras !
La plupart des choses que raconte ma grand-mère, je les avais déjà entendues. Sauf qu’elle travaillait à la maison qand elle était toute jeune et qu’elle s’était inscrite elle-même à l’école. Au Kosovo, c’est encore souvent le grand-père qui détient l’autorité sur les membres de la famille. C’est aussi un peu le cas ici, où nous habitons sous un même toi avec mes grands-parents. D’ailleurs j’adore ce que cuisine ma grand-mère. Par exemple le perpech, sorte de pâte avec crème, sérac, épinards, ou le byrek ou encore la pita.
Ma grand-maman me donne souvent des conseils, comme «Crois beaucoup en Dieu et ça t’aidera». Mais on ne parle pas beaucoup de religion ensemble. Je ne pratique pas, cependant je suis les cours de religion avec les autres élèves, même si je suis musulman.
«Ma maison», celle que mes parents ont reconstruite, c’est ce que j’aime le plus au Kosovo. Cette maison est vraiment importante pour moi, parce qu’ elle veut tout dire. Elle veut dire que mes grands-parents sont partis de rien et qu’ils ont réussi à avoir une maison ici et là-bas. Et que mes racines sont là-bas.
Comme Kosovar, je me sens bien accepté en Suisse et je n’entends pas de critiques sur mon pays. Et si c’est le cas, c’est pas méchant. C’est plutôt pour rigoler. Il faut dire que je suis gardien de but, que je me passionne pour le football, et que dans ce sport, on forme vraiment une équipe sans se soucier des frontières.
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