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Charlotte Managa, sa fille Odette Gollut-Manunga & sa grand-maman Thérèse Luzolo Mwanza

Odette Gollut est arrivée en Suisse à l’âge de huit ans. Mariée à un Suisse, elle est maman de deux enfants et travaille comme éducatrice. C’est volontiers qu’elle a accepté de participer à notre projet avec sa mère Charlotte et sa grandmère Thérèse, arrivée ultérieurement.

 
Vêtues de leurs somptueux costumes traditionnels, toutes trois ont parlé à bâtons rompus de leurs débuts en Suisse, de leur intégration et de leurs liens avec le Congo.
 
CM = Charlotte, maman
OG = Odette, sa fille

Situation au Congo et débuts en Suisse

CM  Je suis arrivée en Suisse avec mes deux enfants, Odette et Nelson, en 1992. Mon mari exerçait différentes fonctions au Congo: banquier, pasteur, interprète… Mais il était opposé au régime de Mobutu, alors on l’a emprisonné, torturé et j’ai dû fuir avec mes enfants.

Arrivée à l’aéroport de Genève, j’ai demandé l’asile et nous avons été accueillis dans un foyer à Ardon comme requérants d’asile. Et le 11 mai 1992, on nous a transférés à Monthey.

Mon mari est finalement mort de la tuberculose au Congo et je ne l’ai plus jamais revu. Quant à ma maman, elle nous a rejoints en 2004. Si elle ne parle pas très bien le français, elle comprend quand même certaines choses.

OG  Avant de venir en Europe, nous vivions à Kinshasa et ma mère était une femme d’affaires. Elle avait deux entreprises au pays, un atelier de couture avec cinq employées et une entreprise de transports, avec une vingtaine de personnes. Mon père tenait sa comptabilité.

Dans ma famille, tous ont eu la chance d’étudier. Il y a des avocats, des banquiers. Mon grand-père, par exemple, était médecin. Il y avait de grandes différences entre les familles. Nous représentions une famille moyenne, mais il y avait aussi des gens très pauvres et des gens plus riches. Et ceux qui avaient les moyens devaient partager avec les très pauvres.

A mon arrivée en Suisse, j’avais huit ans. Après l’école obligatoire, je voulais faire un apprentissage de vendeuse. Mais comme réfugiée, j’ai dû attendre encore deux ans avant de pouvoir commencer. Ensuite j’ai fait deux CFC, dont un comme gestionnaire en télécommunications. Après ma naturalisation en 2014, j’ai fait un e CFC d’assistante socio-éducative et un diplôme d’éducatrice spécialisée. Mon intégration a aussi été facilitée grâce au basket. J’ai joué dès l’âge de 14 ans en LNA à Troistorrents, puis à Pully. Actuellement j’entraîne une équipe junior.

L'intégration

CM  En 1992 les Valaisans n’étaient pas habitués à voir des gens de couleur. Je me souviens qu’à la Gare d’Ardon j’ai rencontré une maman avec son petit garçon qui a eu peur de moi: «Et regarde, maman, j’ai vu un fantôme! ». Une autre fois j’ai sonné chez mon voisin pour lui offrir une spécialité de mon pays, des beignets. Il m’a fermé la porte au nez !

Vendeuse dans un magasin à Sion, j’ai servi une cliente. Elle devait me rappeler pour confirmer son choix, mais au téléphone elle ne m’a pas reconnue. Elle voulait absolument parler «à la dame noire». J’avais beau lui dire que c’était moi, elle ne voulait pas me croire : «Mais… vous n’avez pas l’accent. » Je pense que pour elle, tous les Noirs avaient un accent. Et non, je parlais français, comme elle.

Survivance de la culture africaine

CM  Je continue à cuisiner les plats de chez nous avec du piment, mais aussi à base de manioc, comme le chikouang ou pâte de manioc. Nous mangeons aussi les racines et les feuilles de manioc, et non seulement les légumes, comme les haricots, mais aussi leurs feuilles.

OG  Ce que j’ai conservé de mes origines congolaises? D’abord la langue, le lingala, mais pas le kikongo, la langue de ma grand-mère. Avec ma mère, on a tendance à mélanger un peu le français et le lingala.

CM  Et moi, je parle le lingala avec les enfants d’Odette. J’aimerais qu’ils l’apprennent, surtout s’ils retournent un jour au Congo. Je l’enseigne même à mon beau-fils. Comme ça, s’il va au Congo, il ne sera pas dépaysé et il ne se fera pas arnaquer.

OG  En fait je vis comme tout le monde ici. Mais il y a tout de même une pratique du Congo que nous avons respectée quand nous nous sommes mariés : la dot. Quand une fille se marie là-bas, son fiancé doit offrir une dot à sa famille. Ça peut être de l’argent, accompagné de cadeaux comme des tissus, des sacs de sel, etc.

Comme nous n’étions pas sur place, c’est un ami de la famille qui allait justement au Congo qui s’est chargé d’apporter les cadeaux et l’argent. Il a été accueilli par la famille et ils ont filmé la scène pour que mon mari voie comment ça se passe là-bas. Mon oncle s’est alors adressé à lui: «Alors Jacques, c’est comme si tu étais là. » Ensuite ils ont donné toutes les bénédictions pour notre mariage, puis ils ont fait une fête et dansé. En fait, la dot est un symbole, elle donne le droit à l’éducation des enfants. Si mon mari ne me dote pas, il n’a pas le droit d’éduquer nos enfants et sa famille non plus. L’échange se fait dans les deux sens. La coutume veut que la famille de la femme offre une chèvre, avec une poule ou de la farine de manioc à la famille du jeune homme. Alors ma mère et ma grand-mère sont allées demander le prix d’une chèvre à un paysan et elles ont donné à mon mari l’argent que ça représentait dans une enveloppe.

Sinon notre mariage s’est déroulé de manière conventionnelle. Nous avons invité tous les membres des deux familles vivant en Suisse, comme ça se fait au Congo, si bien que nous avions 350 invités! Et tous ont trouvé ça formidable. Ils ont aimé nos coutumes et dansé. On avait deux buffets, un européen et un africain. Pour associer à notre fête la parenté d’Afrique, nous avons filmé la bénédiction et aussi les danses qui ont suivi.

Notre mode de vie au Congo, quand j’étais petite, était déjà européanisé. Si bien que dans ma manière de vivre, je suis plus suisse qu’africaine. Je ne porte pas les parures et les beaux costumes d’Afrique, je préfère la simplicité. D’autant plus que j’ai toujours aimé le sport. Je peux dire que j’ai gardé trois choses, transmises par ma mère et ma grand-mère: la langue, la dot et la cuisine.

L'image que j'ai du Congo

OG  J'’y suis allée une seule fois. Pour moi, le Congo c’est comme une pierre brute où tout reste à façonner: la mentalité, la manière de vivre et de se développer.

Peut-être qu’avant c’était mieux, mais maintenant le pays est aux mains des multinationales et les Congolais qui ont des facultés intellectuelles sont écartés. A l’époque de Mobutu, il y avait des écoles dans toutes les provinces. Après ils ont commencé à détruire les écoles pour empêcher les enfants de s’instruire et de revendiquer un jour les richesses de leur pays. Mon mari et mes enfants aimeraient aller au Congo. Ma mère dit souvent: « Je vous apprends le lingala, comme ça vous ne vous ferez pas arnaquer! » Car comme partout, la corruption est reine. C’est pour ça que tout reste à façonner par rapport à l’éducation, à l’économie et à l’environnement.

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