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Victoria Rappaz & sa petite-fille Julie Dubois

Victoria, un prénom qui sied à merveille à cette grand-maman arrivée en Suisse il y a plus de 67 ans ! Mais le passé reste le passé. C’est l’identité suisse qu’elle a choisie quand elle a décidé de renoncer à la version italienne de son prénom: Vittoria. Si l’Italie, ou plus précisément Venzone, est le pays de son cœur, elle a néanmoins décidé de partir à l’âge de 19 ans.

 son arrivée en Suisse, elle est entrée au service de la famille Seydoux du Bouveret comme employée de cuisine, puis comme sommelière. C’est là qu’elle a rencontré son futur mari. Installés à Epinassey, ils ont eu deux filles et un fils. Une vie de famille heureuse, jusqu’au décès de l’époux, et qui se poursuit aujourd’hui à Saint-Maurice. Reste cependant un coin de verdure à Epinassey, le jardin où s’organisent les fêtes de famille.

«Ce qui m’a plu en Suisse, c’est le respect que m’ont témoigné les gens, alors qu’en Italie les ouvriers étaient  regardés de haut », déclare Madame Rappaz.

 ses côtés, une jeune fille au teint basané et aux longs cheveux noirs, Julie. Son esprit éveillé, la complicité qui la relie à sa grand-maman et son attachement au Frioul nous ont frappés d’emblée.

A la veille d’entamer sa vie professionnelle à Berne et de parfaire ses connaissances en allemand, Julie espère faire encore un petit voyage au Frioul pour faire le plein de soleil et de joie de vivre.

C’est par le biais de deux lettres que Victoria et Julie ont choisi de parler de leur influence réciproque.

Chère Julie,

Aujourd’hui, on se retrouve au jardin pour une grillade et, quand je te regarde, je peux te dire que la première chose que je t’ai transmise, à travers ta maman, c’est ton joli teint basané… Tu es italienne, ça ne fait aucun doute, et pas seulement parce que tu as la nationalité transalpine.

Là, on est en train de boire le café et le café ça fait depuis que tu es tout petite que tu le réclames : avant c’était la petite cafetière italienne et maintenant… c’est encore et toujours la «moka», et tant pis pour les capsules !

En parlant de grillades, tu sais que chez nous on a toujours bien mangé. Je te vois encore petite devant ton assiette de minestra di fagioli et aujourd’hui je crois que rien ne te ferait renoncer à un plat de polenta et saucisse à rôtir. Au dernier Noël, c’est toi qui as fait le tiramisu selon ma recette et je peux te dire qu’il était excellent.

Quand je te vois maintenant, une belle jeune fille de dix-huit ans, et que je pense à la vie qui t’attend, qui ne sera pas tous les jours facile mais qui sera belle, je te dis : « Julie, garde toujours l’esprit espiègle que tu as. Et souviens-toi du proverbe que j’ai souvent répété à ta tante, ta maman et ton tonton: «Aide-toi, le Ciel t’aidera! ».

Surtout, ose!

Quand j’avais dix-neuf ans, j’ai quitté l’Italie pour venir en Suisse. Toi, aujourd’hui, tu quittes Epinassey pour aller à Berne: le monde était à moi, aujourd’hui il est à toi! Enfin, carissima Julie, je ne sais pas ce qu’il y a d’italien dans ce que je vais te dire, mais je te le dis et je te le répète: «Pense à toi, mimi, garde-toi en santé, EN SANTÉ! »

Et prends bien soin de toi, comme on le fait tous, en cette drôle de période.

Je t’embrasse fort! Grand-maman Victoria

PS: Je souris intérieurement en pensant à cette fois où tu devais aller en vacances à Paris avec un groupe et que, le matin du départ, tu as téléphoné à ta tante qui partait en Italie avec ton frère. Toi aussi tu voulais y aller, en Italie. Così fu fatto!

Julie, mais combien de fois es-tu déjà allée à Venise?...

Bacioni

Chère grand-maman Victoria,

Je t’écris ces quelques mots car les écrits restent.

Tu m’as toujours conseillé de donner de l’importance aux études car toi, malheureusement, tu n’as pas pu les suivre normalement. Merci tout d’abord de m’avoir toujours encouragée. Toi, c’est en pleine guerre que tu es allée à l’école, un jour oui et un jour non et on sent que c’est quelque chose qui te fait mal aujourd’hui encore, quand tu en parles.

Cependant, il t’est resté une très jolie écriture. J’adore écrire. Le français, c’est ma matière préférée à l’école. Tu es en Suisse depuis presque septante ans. J’aimerais apprendre l’italien et pourquoi pas ton dialecte le frioulin qui est si joli. J’aurai peut-être le temps d’apprendre cette langue qui chante encore dans ton accent si moi aussi, je continue de vivre à huitante-sept ans.

Que je te dise aussi que j’ai de l’admiration pour ta façon de cuisiner. Avant, tous les mercredis, maintenant le mardi, on a droit à tes repas : c’est fantastique, tu peux commencer la recette à neuf heures du matin, sans que ça te dérange et tu ne te plains pas du travail que ça t’a donné. Tu attends simplement, en souriant, un hochement de tête qui signifie qu’encore une fois, c’est délicieux. Tu te dévoues beaucoup.

J’aimerais surtout pouvoir te dire dans cette lettre à quel point c’est une fierté d’être italienne. Grand-maman, ce que j’aime aussi chez toi, c’est que tu es positive ; tu es drôle sans faire les blagues un peu lourdes que font parfois les gens par ici. Rire avec toi me remplit le cœur.

Je me souviens de ces vacances de Pâques, avec maman, tonton, mon frère et toi, chez toi, à Venzone. J’avais 13 ans, je ne me rappelle pas tout mais c’était super de découvrir ton village, avec toi comme guide. J’ai pu mettre un visage sur les noms qui apparaissaient souvent dans tes récits. Venzone, Gemona del Friuli: ta région a une grande histoire, tu viens d’un bel endroit, grand-maman. On a passé des heures à discuter toutes les deux, tu m’as raconté pas mal de choses et j’espère que j’arriverai à me servir de cette espèce de philosophie qui est née de ton expérience de vie: enfant pauvre, ouvrière d’usine à 14 ans, immigrée… Tout cela aurait pu te rendre triste, nostalgique ou frustrée, mais non, tu es contente et fière de ta vie, de comment vous vous êtes débrouillés, avec grand-papa. Ta douceur et ta justice me donnent envie de découvrir le monde.

Le ciel est plein de rêves, grand-maman.

Avec toute mon affection

Julie, ta petite-fille

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